Petit rappel : le constat d’origine et le projet qui en est né
La question d’augmenter la durée de vie de nos chaussures nous est apparue depuis la création de la marque. Cette question est pourtant paradoxale dans l’industrie de l’équipement de l’enfant et particulièrement dans la chaussure.
Pourquoi ? Tout simplement parce que les enfants changent fréquemment de pointures et, contrairement aux vêtements, elles finissent très souvent hors d’usage car elles sont trop usées pour être réutilisées. De plus, elles ont été portées intensément (la plupart du temps, l’enfant n’a qu’une paire de chaussure principale contrairement aux vêtements qu’il alterne) et la voute plantaire est déformée par son pied. Il devient difficile de la passer à un autre enfant sous peine d’être inconfortable en marquant une déformation de la voute plantaire.
Conclusion : c’est un déchet de plus et c’est précisément le problème de notre système actuel : nous accumulons les déchets. La question du recyclage est donc centrale mais elle n’est pas simple. En effet, une chaussure est composée de plus de quinze matériaux différents. Comment recycler cela ? Malgré nos recherches, nous sommes toujours revenus au même point : que ce soit à cause d’un coût trop important ou d'une perte de qualité, il est pour le moment impossible de fabriquer une chaussure neuve entièrement recyclée (en lire plus ici)
L’idée de la semelle est venue par éliminationNous avons donc cherché à contourner le problème en prenant le déchet pour ce qu’il est: de la matière brute. En effet, s’il est pour le moment impossible de créer une chaussure neuve entièrement recyclée, pourquoi ne nous pencherions pas sur une seule partie de celle-ci ? Et c’est sur la semelle que nous avons porté notre attention. Le caoutchouc qui compose la semelle est une matière souvent mélangée. On trouve plusieurs mélanges à la base de la « pâte » qui servira à fabriquer la semelle. En incluant dans cette pâte une partie de déchets, on peut trouver une façon de les recycler.
Pour réaliser un tel projet, il nous a fallu fabriquer des moules de semelle spécifiques et faire de nombreuses recherches. Pour une petite entreprise comme la nôtre, il était difficile d’investir, c’est pourquoi nous avons lancé un crowdfunding en juin 2022 qui nous a permis de collecter près de 34.000 CHF ! Grâce à vous, nous avons pu réaliser la fabrication des moules des nouvelles semelles recyclées. (voir : cet article)
Toutes les étapes pour passer d’une chaussure usagée à une chaussure neuve
De la collecte des Benjie usagées au retour au Portugal puis à la fabrication des semelles qui équiperont la chaussure finale, voici toutes les étapes d'un processus complexe dans lequel chacun a un rôle à jouer: le consommateur, la marque, le partenaire logistique, l'usine.
LA MATIERE PREMIÈRE
LA RÉCOLTE DES CHAUSSURES
Chaque jour, vous nous ramenez vos chaussures Benjie usagées. Nous expliquons toujours à nos clients que nous ne «sponsorisons» pas ce don.
Notre but n’est pas de vous inciter à acheter une chaussure neuve et à faire une opération marketing déguisée. Quel serait en effet le sens de vous dire que nous produisons trop de déchets et, dans le même temps, de vous inciter à acheter du neuf...?
Nous espérons impulser un nouveau réflexe de consommation qui, comme dans le cas du PET, nous incite naturellement à rapporter le bien usagé à la source ou, demain peut-être, via une collecte institutionnalisée, pour son recyclage.
C'est un projet win-win dans lequel le client et la marque font un effort pour diminuer les déchets.
LE RETOUR AU PORTUGAL
Une fois triées par nos soins, nous donnons celles qui peuvent être remises en état au vestiaire social de Caritas / CSP Genève.
Les chaussures trop abimées sont stockées par nos soins et renvoyées au Portugal au moment où nous recevons une livraison de chaussures neuves. Ainsi, pas de retour à vide !
https://benjie.ch/videos/VID_313290820_124949_060.mp4
LES INGRÉDIENTS
De la poudre de Benjie broyées + du caoutchouc naturel recyclé + du caoutchouc synthétique recyclé. Cette matière est constituée de ces trois matériaux qui permettent de créer une semelle robuste, de qualité, et valorisant nos Benjie usagées.
Les Benjie broyées
De la poudre de Benjie Broyées : c’est une fois au Portugal que nos chaussures reprennent une seconde vie, dans la même usine où elles avaient été confectionnées la première fois.
La première étape consiste à les broyer entièrement pour obtenir une poudre. Tout est broyé sauf le métal. Les fibres, le cuir et le caoutchouc initial forme un mélange compact et amalgamé.
Le caoutchouc naturel recyclé
Cette poudre seule ne suffit pas. Il faut la mélanger avec du caoutchouc pour retrouver des propriétés d’élasticité et de résistance satisfaisantes. Nous avons choisi du caoutchouc naturel recyclé car c’est la meilleure matière pour garantir ces propriétés.
La caoutchouc synthétique recyclé
Nous finissons le mélange avec des chutes de caoutchouc synthétique recyclé. Cela a le mérite d’éviter la consommation d’une matière première naturelle supplémentaire et le caoutchouc synthétique a de très grandes propriétés dont sa légèreté.
LA SEMELLE RECYCLEE
Cette matière est ensuite injectée dans des moules à haute température puis démoulée comme une sorte de cake. C’est pour financer l’achat de ces moules que nous avions lancé notre crowdfunding. La nouvelle semelle est contrôlée notamment au niveau de ses propriétés et des normes de l’Union Européenne anti toxicité : MACH.
DEUX CERTIFICATIONS
La nouvelle semelle porte deux certifications d’authenticité quant au recyclage :
- Global Recycling Standard
- RCS 100 Reclycled Claim Standard 100
Pour en savoir plus sur la première, vous pouvez consulter cet article du blog.
Pour la seconde, elle est nouvelle pour Benjie. Elle n'est pas entrée en matière dans notre certification B-Corp. Comme dans l’article sur les matériaux dans lequel nous dressions un inventaire nos différents labels, il nous semble important de vous le présenter avec ses points forts et ses points faibles.
Coté point fort, la norme RCS (Recycled Claim Standard) est un système de traçabilité éprouvé des matières premières recyclées dans la chaîne d'approvisionnement. Développée par le Materials Traceability Working Group de l'OIA, elle se base sur les exigences de la norme CCS (Content Claim Standard). La norme RCS vérifie la présence et la quantité de composants recyclés dans les produits finaux. La vérification de la chaîne de traçabilité est effectuée par un tiers pour assurer la transparence et l'exactitude des allégations sur les produits recyclés.
Côté point faible, l’important se cache dans les détails : c’est la présence du terme «100 ». Le RCS 100 signifie qu’au moins 95% de la matière est recyclé. Il existe en effet également le label « recycled blend » mais celui-ci signifie que seulement une partie du mélange est recyclé, et ça ne dit pas combien entre 5% et 94,9% ! Très limite…
Par ailleurs, il faut noter que, comme pour le GRS, son défaut est qu’il ne certifie pas les matières premières elles-mêmes ni les questions sociales ou légales.
LA CHAUSSURE FINALE
Après plus de deux ans de travail et de recherches nous avons l’immense plaisir de vous présenter notre tout premier modèle de chaussure avec semelle recyclée : la Widnau Recycled Sole, déclinée en deux coloris, bleu et doré.
Cette chaussure n’échappe pas à la règle de qualité ni de structure de tous nos autres modèles. La seule chose qui change, et pas des moindres, est que sa semelle, a été produite avec des chaussures recyclées.
Nous ne pouvons qu’en être fiers et vous être reconnaissants d’avoir cru en notre projet ! Car sans votre aide, tout cela aurait été impossible.
Les limites et les perspectives futures
Bien que toutes les chaussures Benjie usagées que vous nous rapportez soient entièrement recyclées (excepté le métal), nous nous sommes pour le moment limités à la production des semelles ; semelles qui ne sont composées qu’à 40% de chaussures broyées. Par mesure de robustesse, nous avons encore besoin d’y incorporer d'autres matières, certes recyclées, ce qui met un frein à notre démarche de circularité.
Tout ceci n’est donc qu’un tout petit pas. Pour parvenir à 100% d’une boucle de recyclage, il nous faudra réinventer complètement la conception de la chaussure et, pour être franc, c’est un défi qui est pour l’instant hors de notre portée.
Nous sommes obligés, ici de faire un aparté fondamental pour comprendre les limites du recyclage, limites auxquelles nous sommes aussi confrontés. Elles trouvent leur base dans les lois de la thermo dynamie découvertes par Nicolas Léonard Sadi Carnot en 1824. Elles disent que l'énergie est constante en quantité et ne peut donc être ni créée ni détruite mais seulement transformée (loi de conservation) ou déplacée d’un système à l’autre dans l’univers. Il en est de même pour la matière. Or, sa qualité évolue inexorablement vers une dégradation (loi d'entropie) et donc un potentiel de recyclage en baisse. Il nous faut donc poursuivre tous nos efforts sur le recyclage mais avoir conscience que ce n’est pas non plus une solution miracle.
Du côté des perceptives réjouissantes, nous avons constaté que ce projet a été très mobilisateur à la fois pour nous mais aussi notre communauté. Nos clients participent volontiers au processus de recyclage, c’est même devenu un réflexe. Cela montre que par un processus d’éducation au recyclage (pour nous, les marques et pour le consommateur), un changement de pratique est tout à fait possible ! C’est encourageant en ces temps où le défaitisme écologique prend parfois le dessus !